dimanche 16 octobre 2016

Grèce : le monde sans pitié de l’Eurogroupe, par Romaric Godin

Grèce : le monde sans pitié de l'Eurogroupe, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 11/10/2016

Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe, ne fait aucun cadeau aux Grecs. (Crédits : © Eric Vidal / Reuters)

Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, ne fait aucun cadeau aux Grecs. (Crédits : © Eric Vidal / Reuters)

L’Eurogroupe n’a versé qu’une partie de la tranche prévue à la Grèce. Un nouveau geste de défiance envers le gouvernement grec.
L’Eurogroupe n’est pas tendre avec le gouvernement grec. La délégation hellénique se rendait pourtant à Bruxelles lundi 10 octobre avec l’espoir de voir se débloquer les 2,8 milliards d’euros de la tranche du programme prévue pour cet automne. Alexis Tsipras, le premier ministre grec, avait réussi, non sans peine, à faire accepter les 15 « mesures préliminaires » exigées par les créanciers. Du reste, les 18 autres ministres des Finances en ont convenu et ont applaudi. Mais ils n’ont libéré que 1,1 milliard d’euros sur les 2,8 milliards prévus.

Payer ses dettes avec de la dette

Pourquoi ? Les 1,1 milliard d’euros sont destinés au service de la dette, notamment les 450 millions d’euros que la Grèce doit rembourser d’ici à la fin de l’année au FMI. C’est le fonctionnement habituel de « l’aide » à la Grèce, nom donné à cette cavalerie financière qui consiste à rembourser la dette grecque par de la dette accordée à la Grèce. C’est aussi ce qui est nécessaire à empêcher tout défaut de la Grèce. Cette somme pouvait (et devait pour la tranquillité de l’Eurogroupe lui-même) être libérée immédiatement.

La question des arriérés

Ce n’est pas le cas des 1,7 milliards d’euros restant. Cette somme a une autre destination : elle doit venir payer les arriérés de l’Etat vis-à-vis de ses fournisseurs. C’est un élément important pour l’économie grecque, parce que ces impayés de l’Etat mettent souvent en difficulté les entreprises helléniques. Rappelons que, hors service de la dette, l’Etat grec a dégagé entre janvier et juin près de 3 milliards d’euros d’excédent « primaire », mais que cet argent ne peut être utilisé pour solder ces arriérés et doit être consacré entièrement au paiement de la dette. Dans la logique du « programme », ces arriérés sont donc payées par de la dette nouvelle afin que la dette ancienne puisse être remboursée. Il ne s’agit donc pas réellement d’un « cadeau » fait aux Grecs.

Chicane administrative

Reste que l’Eurogroupe avait décidé en mai que pour débloquer cette partie de la tranche de crédit, il fallait que l’Etat grec ait préalablement entièrement utilisé la tranche précédente au solde d’une partie de ses arriérés. Techniquement, rien ne justifie cette méthode, c’était en réalité un geste de défiance de plus envers le gouvernement grec. L’idée était de s’assurer que les Grecs utilisent correctement ces sommes et de ne continuer à les verser qu’à cette condition. Il y avait là une véritable volonté d’infantilisation des Grecs qui allait de pair avec l’autre grande mesure décidée en juin : la baisse automatique des dépenses en cas de déviation de l’objectif d’excédent primaire en 2018.

On pouvait cependant se montrer plus souple dans l’exécution de cette méthode. Mais l’Eurogroupe a décidé ce lundi 10 octobre de montrer à Athènes qu’il n’entendait pas faire preuve d’une telle souplesse. L’Eurogroupe n’a pas disposé des informations lui permettant de s’assurer de l’utilisation complète des 1,8 milliard d’euros de juin pour le paiement des arriérés. Pourtant, le gouvernement grec assure qu’en septembre, il a versé 105 % des sommes fixées par l’Eurogroupe. Mais il n’a pas su apporter les éléments concrets de ce fait. L’Eurogroupe a donc suspendu le versement de la deuxième partie de la tranche. Le gouvernement grec espère désormais que cette tranche pourra être libérée le 24 octobre lors de la prochaine réunion du conseil d’administration du MES qui est un Eurogroupe élargi.

L’Eurogroupe insiste sur l’absence de confiance

Cette chicanerie administrative prouve que le gouvernement grec ne devra compter sur aucune « compréhension » de la part de l’Eurogroupe. L’intérêt du gouvernement et de l’économie grecque elle-même ne détermine jamais les décisions des 17 ministres des Finances qui agissent bien, plus que jamais, comme un simple syndicat de créanciers soucieux de faire sentir leur puissance à un débiteur qu’ils jugent responsable de ses déboires. L’absence de souplesse n’est pas simplement un fait administratif, car l’Eurogroupe a lui-même fixé ces règles et il peut donc montrer en théorie de la compréhension. C’est bien un message envoyé au gouvernement grec : la « confiance » n’est pas encore revenue. L’Eurogroupe ne croit pas le gouvernement grec sur parole. Or, cette « confiance » est précisément l’excuse avancée depuis l’été 2015 pour exiger toujours plus de concessions à Alexis Tsipras qui, nolens volens, doit s’y soumettre. Les ministres des Finances tiennent donc plus que jamais en surveillance étroite le gouvernement d’Alexis Tsipras.

Coup dur pour Alexis Tsipras

En tout cas ce « retard technique » est un nouveau « coup dur » pour le premier ministre grec, alors que l’espoir d’un allègement de la dette grecque semble s’éloigner compte tenu de l’impossibilité pour le FMI de faire plier Berlin sur ce sujet.Alexis Tsipras comptait sur le bouclage rapide de cette deuxième revue du programme pour avancer sur le sujet de la dette et pour pouvoir, en fin de semaine, aller à un congrès de Syriza qui s’annonce difficile, avec un élément positif. Ce ne sera pas le cas. Le premier ministre devra donc justifier sa politique alors que l’Eurogroupe reste défiant et que Berlin refuse toute avancée d’envergure sur la dette. Le tout dans un contexte difficile où Syriza est désormais largement devancée par les Conservateurs de Nouvelle Démocratie. L’Eurogroupe ne pouvait ignorer une telle situation. En se montrant tatillon, il savait qu’il affaiblirait encore un Alexis Tsipras qui, en dépit de ses efforts, n’a pas su créer un vrai climat de confiance avec des créanciers qui, eux, n’ont jamais vraiment oublié leurs objectifs politiques.

 Source : La Tribune, Romaric Godin, 11/10/2016

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